Chers amis,
Nous fêtons aujourd’hui l’Aïd Al
Kabir, que rappelle le geste d’Abraham en offrant son fils Isaac
et en plus c’est dimanche…. Cela signifie que je trouve enfin un
peu de temps pour vous raconter un peu de Goundi.
C’est la fin des pluies. Pendant 4
mois le ciel nous a bien arrosés, ce qui promet un garde-manger bien
fourni pendant quelques mois. Cela crée aussi les conditions
idéales pour la prolifération des moustiques et notre hôpital est
plein des malades, la plupart par paludisme compliqué. Nous sommes
en « haute saison » : Les patients font un maximum
de deux ou trois jours puis continuent les soins au niveau de
l’ambulatoire… certains ne sont pas tout à fait rétablis mais
il y a toujours quelqu’un plus grave qui attend un lit. On ne parle
pas beaucoup de paludisme mais il reste, de loin, le problème
prioritaire de santé au Tchad et la première cause de mortalité.
Les vents du Nord n’ont pas seulement
emmené la pluie…Marie nous est revenue. Il y a un an déjà on lui
avait « donnée la route » et elle a fait usage de ce
don. Donner la route signifie consentir à laisser partir quelqu’un,
même si cela nous coûte, laissant ouverte la possibilité d’un
retour. À son retour, celui qui a reçu la route n’est plus un
étranger comme la première fois : Il revient chez-lui. Bien
des Goundiens (ennes) ont été ravis de l’embrasser et ils n’ont
pas manqué de la complimenter à la charmante façon locale :
Mon Dieu, comme tu as grossie ! L’expression est choquante
pour un non Tchadien mais elle ne signifie pas que vous êtes gros.
Tout simplement on est content de vous trouver en bonne santé.
Marie est arrivée chargée d’énormes
valises pleines de petits trésors. Des choses qui sont peut-être
banales ailleurs mais que pour nous sont fondamentales :
Pansements stériles autoadhésifs, que nous utilisons pour les
patients chirurgicaux, des clamps de Bahr pour les enfants de la
maternité, du lait maternisé pour les petits orphelins, des
couvertures thermiques pour les prématurés (nous n’avons pas
d’énergie tout le temps pour faire fonctionner une couveuse), des
médicaments, des pinces et du matériel médical, un ordinateur qui
a pris place à la consulte de l’ambulatoire, et des petites
gourmandises qui ont fait la joie des soignants aussi.
Les dix jours se sont envolés bien
trop vite. Nous lui avons redonnée la route, bien conscients de
qu’un lien bien réel se tisse entre Lyon et Goundi. Nous avons
chaud au cœur en pensant à toute l’équipe qui là-bas travaille
avec le même objectif que nous. Merci à tous de tout cœur !
Lapia’ngaye (la paix soit avec vous).
Léopoldo,
directeur de l'hôpital
Nuit du 17 juin à Goundi
Après avoir suivi dans la TV les résultats des élections en France , Leopoldo est parti se reposer et moi je suis resté encore accroché à la TV, jusqu’au moment où j’ai décidé aussi de partir me reposer. Pour éteindre la TV je dois prendre un câble qui entre par la portée de la maison avec le courant qui vient d’une batterie…Et voilà que juste à côté du câble il y a quelque chose.
Je regarde autour pour voir avec quoi je pourrais l’assommer, sans arrêter de le regarder, pour voir où il va passer…La seule chose que j’ai à portée de main est la chaise en plastique, et je bouge un peu pour la prendre…L’intrus a vu que je bouge, fait demi-tour et sort vers la véranda. Je profite pour prendre une barre en fer, un bâton et une lampe puissante…et je sors vers la véranda.Et dehors, dans la véranda, pas de trace…Plus loin, dans la cour, pas de trace... Je rentré à la maison et je vais regarder dans la petite chapelle, pour voir s’il a glissé sous la porte de la véranda…et il n’est pas dans la chapelle… Je vais me reposer… mais avant de me mettre au lit je vais visiter le WC, et, on ne sait jamais, en plus de la lampe je prends la barre de fer… Et…il était-là, le traitre… après avoir sorti de sa cachette dans la véranda, probablement avait trouvé refuge sous l’étagère-atelier de Leopoldo, après avoir glissé sous la porte de la chapelle, avoir traversé la chapelle, et entrant déjà dans le couloir, à l’intérieur de la maison… Il hésitait sur le chemin à prendre : la porte qui ouvre à la douche-WC pour les hôtes, ou celle de François, ou celle de Leopoldo ou la chambre de Leopoldo… Un bon coup avec la barre en fer lui a cassé la colonne, mais ne l’a pas tué, et il se défendait avec des mouvements rapides de son cou et de sa tête. J’avais besoin d’un autre outil pour lui donner le dernier coup… et en arrivant à ce point on remercie le fait de vivre en communauté…
Mon cri au milieu de la nuit a fait sortir Leopoldo du monde des rêves et l’a amené de nouveau sur celui-là, plus prosaïque et dangereux… Sortant de sa chambre et ouvrant grands yeux il s’est rendu compte de la situation… Je lui ai montré où j’avais laissé le bâton et avec celui-ci il a tué le reptile.
Après nous sommes partis nous reposer…
Ce matin, j’ai pu observer de près le reptile…Je crois qu’’il s’agit de BITIS, espèce très dangereuse qui produit des fortes hémorragies dans la victime … 58 cm de long. Tête triangulaire, courte queue
Nous avons en ce moment plusieurs hospitalisés, mordus par serpent. Nous pouvons les traiter grâce à des bons amis qui nous ont fait parvenir les sérums antivenimeux polyvalents ( Bitis, Equis, Naja)
Je remercie Dieu parce qu’l nous a gardé indemnes, et j’ai un souvenir pour remercier les personnes qui nous permettent de soigner les « non indemnes »
Note : La narration est véridique. Les photos sont réelles, certaines faites ce matin, en reconstituant les faits.
Franscesco, chirurgien de l'hôpital
le fameux bitis
"Ce matin nous avons été réveillés par des tirs de
Kalashnikov…C’est la fin du Ramadan, l’Aïd –al-Fitir, une des fêtes le plus importantes du calendrier musulman. Comme
il est habituel, lors des célébrations, les coups de fusil font office de
pétards. C’est une fête mobile, donc nous ne pouvons pas prévoir que la journée serait chômée. J’ai mis
bien plus de temps, en profitant de l’absence des consultations, pour le tour
de visite des malades au lit.
A midi, Madame
Baye Khadîdja, _ qui tous dans le village appellent
« Khadîdja-Radio » ou en arabe local « Khadîdja-Kalam »
(Khadîdja la bavarde)… parce qu’elle parle sans arrêt et avec une voix qui
porte, de façon qu’il est carrément impossible de ne pas l’entendre_ nous a envoyé
un plateau plein des gâteux (des beignets à l’huile et pâte d’arachide) pour
nous faire participer de la fête.
Nous avons une longue histoire avec Khadîdja : Son
mari est décédé dans notre hôpital, des suites d’un cancer, il y a une dizaine
d’années. Elle avait 5 fils qui sont morts l’un après l’autre de SIDA. Depuis
le début de la maladie de son mari, nous nous sommes donc habitués à la voir en train
d’assister quelqu’un souffrant. Après le décès d’Amine, son dernier fils, elle
a continué à être présente dans la cour de l’hôpital. Dans le vécu de la foi
musulmane, visiter les malades est une chose qui se prend au sérieux. Elle est
toujours là prête à rendre service ou tenir compagnie (parfois le plus grand
des services) aux malades seuls.
En Afrique, une femme qui a perdu son mari et ses
enfants, est proie d’un malaise existentiel insurmontable. La dépression et les
carences matérielles qui cette situation entraîne font mauvais ménage et il n’est pas rare que les femmes se laissent
abattre par le poids de circonstances. Eh bien, nôtre Khadîdja à nous, a su
dépasser ses peines : Elle a courageusement pris en charge ses nombreux
petits-fils restés orphelins et a continué à apporter aux malades le réconfort
d’une visite.
Il y a quelques mois elle est venu en consultation par une
douleur dans un sein. J’ai trouvé une tumeur du sein droit. Une échographie a
vite confirmé l’allure maligne de la lésion. Comme il est la coutume chez nous,
je lui ai parlé franchement de la nature de son problème. En ce moment père
François, notre chirurgien en titre était parti en Europe (vacances). Elle a
décidé d’attendre son retour pour se faire opérer. J’étais accompagné d’un
chirurgien européen, mais elle a voulu attendre François. Prosper Beotombaye, notre chef du personnel,
reconnaissant de son appui inconditionnelle a toutes nos activités d’animation
sanitaire, lui a proposé de séjourner dans une de nos deux « chambres
privées » (chambre avec salle de bain et deux lits, un pour le patient et
l’autre pour l’accompagnateur, c’est notre « haut de gamme » à
Goundi).
Celle qui avait été garde malade est devenu a son tout
patiente. Il faut reconnaître qu’elle a été facile comme malade. L’opération
s’est bien passée et pendant deux ans nous avons cru que la tumeur ne
reviendrait pas.
Septembre 2011
Hélas, il a fallu se rendre à l’évidence. Une récidive
tumorale avec des multiples métastases. Nous avons fait quelques cycles de
chimiothérapie, envoyée par des amis de l’Europe, qui n’ont pas donnée
grand-chose. Khadîdja elle-même a décidé de l’arrêter. Elle n’a pas vécu
passivement sa maladie, même très souffrant et impossibilité de marcher, se
faisait porte dehors de sa chambre pour saluer les passants, ses voisins de
chambre. Elle a gardé un mot drôle et rassurant pour tous jusqu’à son dernier
souffle."
Léopoldo, médecin directeur